L' ALBATROS de Charles Beaudelaire
Souvent, pour s' amuser, les hommes d' équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l' azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d' eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu' il est comique et laid !
L' un agace son bec avec un brûle-gueule,
L' autre mime, en boitant, l' infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l' archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées ,
Ses ailes de géant l' empêche de marcher.
Ce poème parut en 1859.
Pour symboliser le poète, Beaudelaire ne songe ni à l' aigle royal des romantiques, ni à la solitude orgueilleuse du condor,décrite par Leconte de Lisle.
Il choisit un symbole plus douloureux: l' albatros représente la dualité de l' homme cloué au sol et aspirant à l' infini;il représente surtout le poète cet incompris.